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La Patrie Mardi 31 juillet 1900

Source :
Bibliothèque et Archives Nationales du Québec
(lien pour consulter le document original à la dernière page du journal)

La milice appelée pour protéger les intérêts de la Dominion Co. à Magog

107 hommes, commandés par le capitaine Caldwell, gardent la fabrique. La plupart des ouvriers de l’imprimerie retournent à l’ouvrage.

Sherbrooke, 31 – La filature de Magog est encore fermée. Dimanche la compagnie a fait afficher de par la ville que les ouvriers seraient payés à 6:30 heures, hier matin. Tous les grévistes et les autres employés se sont rendus sur les lieux à l’heure dite. Les employés de la filature de coton ont reçu leurs deux semaines de paie retenue ainsi que leurs deux semaines de salaire courant, de sorte qu’ils se trouvent virtuellement congédiés. Ils sont environ 400. Ceux du département des indiennes ont été payés comme d’habitude; ils n’ont pas de griefs et sont prêts à reprendre l’ouvrage aussitôt que l’on pourra leur donner une protection suffisante. Tout était bien tranquille en ville hier, la compagnie ne fait aucun effort pour se procurer d’autres ouvriers.

La compagnie a décidé de fermer la filature de coton, car les autres départements reçoivent leurs matériaux des tisserands. Il ne sera pas question de faire venir d’autres ouvriers avant quelques jours, tout dépendra de la conduite des grévistes. Le conseil de ville a été averti qu’il sera tenu responsable de tous les dommages causés à la propriété. Les grévistes ont été avertis par le maire de ne se laisser aller à aucun acte de violence.

Le comité des grévistes, ainsi que le maire Guilbert et le conseiller Chalmers, ont rencontré M. Whitehead, le gérant général dimanche soir. Le comité a alors proposé que les questions en litige fussent réglées par arbitrage; M. Whitehead ne voulut pas consentir à cette demande. Il prétend que les grévistes ont fait leurs demandes d’une manière injuste, que la principale raison pour laquelle ils se sont mis en grève, c’est que le jour de paie a été changé du vendredi au lundi. Ensuite, ils ont demandé une augmentation de salaire de 10 pour cent et l’abolition des amendes. Ils n’ont jamais donné avis à la compagnie de ces griefs.

M. Whitehead ajoute que vendredi soir il avait été décidé que tout la question serait réglée lundi, mais le comité des grévistes n’a pas, évidemment, averti les grévistes de cet arrangement, préférant maintenir l’excitation. Vu toutes ces raisons, ajoute M. Whitehead, la compagnie ne peut accorder aucune des demandes de ses employés. Si la compagnie ne revient pas sur cette décision, on s’attend à des désordres, car les grévistes ont, à l’unanimité, résolu de ne pas reprendre l’ouvrage tant que le jour de paie n’aura pas été changé, et s’il est nécessaire, d’empêcher les autres ouvriers de travailler. Les patrons disent qu’il n’y a pas d’organisation chez les grévistes et qu’il suffirait du renvoi de quelques chefs pour calmer tous les esprits.

M. James N. Greenshields, C.R. est revenu hier de Magog, où il était allé surveiller les intérêts de la compagnie Dominion, dont il est le conseiller légal. M. Greenshields, cela va sans dire, ne croit pas que les employés de la filature de Magog aient bien fait de se mettre en grève; toutefois, il ne leur nie pas ce droit pourvu qu’ils ne cherchent pas à entraver la liberté du travail.

Il n’y a pas très longtemps, dit M. Greenshields, la compagnie Dominion a changé son jour de paie du vendredi au lundi, afin de mettre à l’abri de la gêne un grand nombre de familles dont les soutiens dépensaient le dimanche, dans les hôtels ou ailleurs, une partie de leur argent. Cette mesure a fait plaisir à un certain nombre d’ouvriers, mais elle en a aussi mécontenté plusieurs, qui sont parmi les facteurs de la grève actuelle.

Les grévistes demandent une augmentation de salaire de 10 p.c. Or je puis vous assurer que la compagnie Dominion paie à Magog les mêmes salaires que dans ses autres établissements. Toute concession aux grévistes de Magog aurait sans doute pour résultat une augmentation de gages pour toutes les autres fabriques. D’ailleurs, seuls les ouvriers employés à la fabrication des cotonnades sont mécontents; les employés de l’imprimerie ne sont pas en grève : ils craignent seulement de s’attirer des désagréments de la part de grévistes s’ils continuent à travailler. On a craint hier après-midi des troubles assez graves, mais nous avons confiance que le conseil municipal de Magog qui est désireux de protéger la propriété et la liberté de tous, prendra des mesures énergiques pour maintenir l’ordre. Le maire Guilbert a nommé hier soir, 5 constables spéciaux.

Un message téléphonique reçu à midi du maire de Magog, M.E.H. Guilbert, nous apprend que 107 soldats mandés de Sherbrooke par trois juges de paix de la localité, à la prière de la Dominion Co., sont arrivés à Magog ce matin vers les 6 heures, la compagnie ayant résolu de rouvrir son atelier d’imprimerie (« print works ». Le maire est allé rencontrer les soldats à la gare. Les grévistes ne lui ont pas caché leur ressentiment.

Les soldats se sont immédiatement rendus à la fabrique, autour de laquelle ils se sont rangés, sous les ordres du capitaine, M. Farwell. Puis le gérant de la compagnie Dominion, M. Whiteheaud, s’est rendu chez le maire et lui a demandé d’autoriser par écrit les soldats à protéger la fabrique et les ouvriers non grévistes. Le maire, escorté par des soldats, s’est rendu à la fabrique et a donné au capitaine Farwell l’autorisation demandée.

À 6:00 heures, l’atelier d’imprimerie a rouvert ses portes et un grand nombre d’ouvriers sont retournés à l’ouvrage. Il n’y a pas eu d’actes de violence de commis, si ce n’est par un gréviste nommé Marcheterre qui, dit-on, a donné un coup de poing au constable spécial Lacaille, et par un nommé Napoléon Lavoie, qui s’est aussi laissé emporter par sa colère. Marcheterre et Lacaille ont été mis en arrestation.

Lacaille, serré de près, (les uns disent par fanfaronnade), a tiré un coup de feu sur un nommé Archambault; heureusement, il n’a blessé personne. Un mandat a été émis pour son arrestation, mais il a pris la fuite ou s’est caché, car on n’avait pas encore mis la main dessus à midi C’est un des employés de la compagnie Dominion.

Le maire dit que les constables nommés hier soir l’ont été conformément à la loi, par lui-même, en sa qualité de juge de paix, et par M. le Dr W.W. Chalmers, aussi juge de paix. Ce sont tous des citoyens connus et capables de respecter leur serment d’impartialité. La fabrique proprement dite rouvrira probablement ses portes demain. Les grévistes n’ont pas attaqué les soldats, et on ne semble pas appréhender de nouveaux troubles.

 

2 août 1937

Source :
Bilan du siècle. Université de Sherbrooke

Cet arrêt de travail paralyse les filatures de la Dominion Textile à Montréal, Valleyfield, Sherbrooke, Magog, Drummondville et Saint-Grégoire-de-Montmorency. Les travailleurs, qui sont affiliés à la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), réclament une baisse des heures de travail, de meilleurs salaires et la reconnaissance de leur union. Les interventions du premier ministre Maurice Duplessis et la médiation du cardinal de Québec, Mgr Rodrigue Villeneuve, marqueront ce conflit qui se terminera le 27 août.

En 1937, les effets de la crise économique se font encore sentir : le chômage demeure élevé et l'économie tarde à se redresser. C'est dans ce contexte difficile qu'une grève éclate en août dans six filatures de la Dominion Textile. Cette entreprise, qui est alors le plus gros employeur manufacturier du Québec (50 000 ouvriers), contrôle les deux tiers de l'industrie du coton au Canada. Ses employés, en majorité des femmes, travaillent de 55 à 60 heures par semaine pour un salaire hebdomadaire d'environ 15 $. Cette situation, et la montée de l'organisation syndicale, plus particulièrement la CTCC, dans les usines, créent un contexte favorable à une négociation des conditions de travail. D'autant plus que la Commission royale d'enquête sur l'industrie textile (1937) vient de mettre en lumière l'exploitation dont sont victimes les ouvrières du textile. La CTCC se croit ainsi en bonne posture pour presser la Dominion Textile de signer un contrat avec elle en tant que représentante des ouvriers. Après la tenue d'un vote de grève, que les travailleurs appuient à 95 %, un arrêt de travail est déclenché le 2 août. Les principales revendications sont une augmentation salariale, la diminution des heures de travail (de 60 heures à 50 heures) et la reconnaissance du syndicat. Après deux semaines de grève, l'entreprise tente de rouvrir trois de ses filatures, ce qui provoque de la violence sur les piquets de grève. Le conflit semble s'enliser dangereusement lorsque le cardinal de Québec, Mgr Rodrigue Villeneuve, lance un appel pour que la compagnie et les grévistes acceptent la médiation du premier ministre Maurice Duplessis, même si ce dernier a déjà manifesté ouvertement sa réprobation à l'endroit de la stratégie adoptée par les leaders syndicaux. La situation commence à devenir précaire pour les ouvriers qui sont sans revenus depuis 25 jours. La Dominion Textile s'empresse d'accepter l'offre de médiation. La situation critique des grévistes se répercute à la table des négociations, car la compagnie fait peu de concessions. La semaine est abaissée à 50 heures, le salaire est majoré de 5 % et les machines seront arrêtées lors des repas. Mais le syndicat ne sera pas officiellement reconnu par l'employeur. L'année suivante, la Dominion Textile refusera de renouveler la convention collective signée en 1937.

Le 15 février 1960 : Un hiver éprouvant prenait fin

Source :
Histoire Magog

Oubliez les marmottes ou la fonte des neiges. En 1960, c’est le règlement de la grève à la Dominion Textile, le 15 février, qui annonce aux Magogois la fin officielle de l’hiver. Un printemps hâtif ? Peut-être. Mais quel hiver ce fut ! Depuis que les 2 000 employés de la filature et de l’imprimerie ont entrepris leur arrêt de travail, le 27 septembre 1959, plus de cinq mois et demi se sont écoulés.

Unique par sa longueur, cette épreuve de force se distingue également par la stratégie de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) qui décide de laisser le travail continuer dans les autres usines de DT et de faire porter le fardeau du conflit sur les épaules des Magogois. Puisque l’on entrevoit une entente rapide, l’effort ne devrait pas être trop pénible. Malheureusement, le conflit perdure.

La CTCC déploie une importante logistique. Des comités-patrouilles, nourriture, pancartes, etc.- sont formés et des cabanes de piquetage érigées, fermant l’accès aux usines. De plus, 25 000$ sont acheminés à Magog sur une base hebdomadaire, ce qui permet aux grévistes de toucher environ 10 $ par semaine, plus 1 $ par enfant à charge. Ils restent néanmoins bien à court des 45 $ qu’ils touchent en moyenne à la DT. Et cinq mois, c’est une éternité. Privés de 2 000 chèques de paye, les 225 établissements commerciaux de la ville sont aux abois. L’endettement devient la norme, poussant les marchands à demander au gouvernement provincial d’intervenir afin de précipiter un règlement.

Malgré cela, la communauté reste sensible à la situation des grévistes. Le curé de Sainte-Marguerite, Origène Vel, leur accorde son soutien. La maire, Maurice Théroux, refuse de laisser la police provinciale venir à Magog. Et, le 19 décembre, les commerçants organisent une magnifique parade du père Noël à l’intention de plus de 2 000 enfants touchés par le conflit. Des cadeaux d’une valeur de 6 000 $ sont distribués, dont une quantité innombrable de poupées ou de bâtons de hockey.

Sur son passage, le père Noël omet de descendre dans les cheminées de la DT. Il faut attendre le 15 février avant que la médiation du ministre du Travail Antonio Barrette, devenu entre-temps premier ministre du Québec, ne permette la conclusion d’une entente. À peine plus généreuse pour les Magogois que pour les autres ouvriers de la DT qui n’ont pas fait la grève, elle en laisse plusieurs sur leur appétit. Mais règle générale, le soulagement règne. L’interminable hiver est enfin chose du passé.

Serge Gaudreau, Histoire de Magog, Société d’histoire de Magog